31 mars 2005

廓のおんな — Mémoires d'une geisha

[roman ] de Yuki Inoue [井上雪] (en japonais : 廓のおんな, 1980). Racontés dans l'ordre chronologique (la vente par ses parents à l'âge de 8 ans, les années d'initiation et de brimades, le métier de geisha, puis enfin son rôle en tant que patronne d'une okiya), ces souvenirs d'une geisha de Kanazawa au début du 20e siècle sont surtout intéressants sur le plan documentaire, mais ne suffisent pas tout à fait à rendre le roman palpitant. Pour une histoire plus mouvementée, il faut lire le très bon roman d'Arthur Golden, qui devrait faire l'objet d'un film de Rob Marshall (Chicago) cette année.

30 mars 2005

Million Dollar Baby

film de Clint Eastwood (2004)

Un vieux soigneur prend sous son aile la jeune Hilary Swank, et lui apprend les rudiments de la boxe. La gamine (enfin bon, 30 ans quand même...) se révèle bien plus balèze que prévu, et étale ses adversaires en un round. Mais son ascension vers la gloire va connaître pas mal d'obstacles... J'ai rarement vu un film qui sente autant la mort — sa présence quasi-physique se manifeste à travers chaque plan, baignant dans une noirceur infinie. Le tempo lent de ce film n'empêche pas d'y rester accroché à chaque minute, hypnotisés que nous sommes par la grâce de Hilary, et les voix d'outre-tombe de Clint Eastwood et Morgan Freeman. Si les quelques plans "bourre-pif" sont vraiment trés efficaces (notamment une scène de recollage de nez cassé particulièrement éprouvante), c'est toute la dernière partie du film qui force le respect et installe Million Dollar Baby au rang des très bons films.

24 mars 2005

The Codebook

[essai ] The Codebook, de Simon Singh (1999). Impossible de lâcher ce bouquin tellement il m'a passionné ! Encore un coup de maître de Simon Singh, qui après son précédent essai sur Fermat et son dernier théorème, nous donne à comprendre le monde fascinant de la cryptographie. Depuis les tous premiers codes à substitution jusqu'aux avancées les plus récentes de la cryptographie quantique, Singh nous fait participer avec une facilité déconcertante au petit jeu du chat et de la souris auquel se sont livrés cryptographeurs et décrypteurs au cours des siècles. De plus Simon Singh possède un vrai talent de conteur, et la façon dont il raconte les découvertes de Champollion ou de Turing est limite bouleversante. Chapeau bas !

21 mars 2005

Le couperet

film de Costa-Gavras (2005)

Plus cynique que noir, ce polar social appuie là où ça fait mal en donnant une réponse radicale à la question "que seriez-vous prêt à faire pour trouver un emploi?". La réponse du personnage joué à la perfection par José Garcia est simple : tuer ses concurrents. Même si ça pose quelques problèmes de conscience (au début), c'est efficace. La composition des personnages principaux est parfaite : José Garcia et Karin Viard sont au top. Quant à la mise en scène, elle est très conventionnelle, et l'irruption constante des fausses pubs dans le décor (pour dénoncer quoi ? qu'il y a trop de pub dans notre monde contemporain ?) est de trop. Le film essaye de traiter tous les sujets à la fois (la violence de la télé, la connerie ambiante, la course aux bénéfices des entreprises, etc), et du coup la force du film est un peu diluée.

16 mars 2005

Brooklyn Boy

[théâtre ] Brooklyn Boy, de Donald Margulies, avec Samuel Le Bihan, à la Comédie des Champs-Élysées.

Eric, écrivain issu de Brooklyn, après plusieurs modestes essais, réalise un best-seller sur son enfance à Brooklyn, ses démêlés avec son père, la fuite de ses origines. Le succès de ce livre autobiographique, même s'il s'en défend, suscite des frustrations autour de ses proches (père, femme, ami d'enfance) qui se reconnaissent dans son ouvrage, et réclament leur part d'identité et de notoriété.

La pièce aborde plusieurs thèmes à la fois. Pour moi le plus intéressant (et touchant) était la relation père-fils. Vient ensuite la difficulté qu'a Eric à gérer son succès et ses relations avec les autres. Le personnage de l'ami d'enfance devenu rabbin est bien écrit (à la fois drôle, un peu pénible, puis finalement plein de compassion), mais ce sont surtout les personnages féminins que j'ai aimés. Malgré une capacité certaine à disparaître dès qu'il n'a plus rien à dire, Samuel Le Bihan est pas mal dans le rôle titre.

13 mars 2005

The Life Aquatic with Steve Zissou

film de Wes Anderson (2004)

En un mot : décalé. À la fois drôle et cruel, ce film inspiré par les pérégrinations de Cousteau est encore une fois un véhicule parfait pour Bill Murray (décidemment très à l'aise dans les rôles de pince-sans-rire depuis Lost in Translation). Une pléïade de seconds rôles (Angelica Huston, Jeff Goldblum, Willem Dafoe, Cate Blanchet, Owen Wilson) vient ajouter un peu de fantaisie dans cette entreprise. Plein de petits détails humoristiques : le membre d'équipage (Seu Jorge ! J'adore !) qui chante du Bowie en portugais en s'accompagnant de sa guitare sèche, les stagiaires bons à tout faire, la faune aquatique bigarrée, la façon de filmer le Belafonte comme une maison de poupée (on se croirait dans un clip de Spike Jonze ou Michel Gondry), les répliques incongrues, la musique électro à deux balles. À la fin du film une belle touche d'émotion surgit des profondeurs, dans la seule séquence où l'on aperçoit finalement le requin-jaguar, nimbé du superbe Starálfur de Sigur Rós. C'est à ce moment-là, les yeux embués, que j'ai attribué à ce drôle de petit film une étoile supplémentaire :-)

11 mars 2005

Landscape with Traveller

[roman ] Paysage avec voyageur, de Barry Gifford (en anglais : Landscape with Traveller, 1980). Je relis souvent ce court roman de Barry Gifford, le scénariste de David Lynch (Lost Highway et Sailor et Lula notamment). C'est l'affaire de deux ou trois heures d'une lecture toute simple et réjouissante. Pendant ces deux ou trois heures, on voyage dans les pensées de Francis Reeves, un homosexuel de presque cinquante ans, un peu rangé des affaires, un peu décalé, qui porte sur le monde un regard à la fois tendre et lucide. Ce roman est véritablement écrit comme un blog (Barry Gifford est un précurseur !), chacun des chapitres faisant deux ou trois pages maximum. C'est plein d'ellipses et d'anecdotes, de réflexions et de listes inspirées des Notes de chevet de Sei Shônagon (choses qui font battre le cœur...). À titre d'exemple voici le chapitre 50 — je me retrouve dans la plupart des livres cités :-)

50. Une bibliothèque de l'île déserte

Une bibliothèque de l'île déserte : si, comme il se doit, on ne peut emporter qu'un seul livre, alors ce serait un livre aux pages vierges comme celui sur lequel j'écris — le plus gros que je puisse trouver. Choisir un petit nombre fixé de livres déjà écrits procurerait davantage de regrets que de plaisir. J'aimerais avoir :

Les Estuaires bleus
Les œuvres complètes d'Austen, Forster, Kerouac et Nabokov
The last of the Wine
Genji
Le Seigneur des Anneaux
Le Silmarillion
Les Contes inachevés
Cavafy
La correspondance de Byron
Les Mémoires de Makriyannis (mais uniquement en grec)
Balzac
Proust
Platon
Homère
Forgetting Helena
Nocturnes pour le roi de Naples
La Bible de Jérusalem

08 mars 2005

Oceano mare

[roman ] Océan mer, de Alessandro Baricco (en italien : Oceano mare, 1993). Je n'ai pas réussi à accrocher à l'écriture très alambiquée de ce roman (alors que cela ne m'avait pas dérangé pour Les châteaux de la colère par exemple...). La structure aussi bien que les personnages sont déroutants, et aucun des protagonistes n'a véritablement de trait caractéristique. Tout est vague, presque intégralement blanc, comme les tableaux que peint un des personnages de ce roman-poème. Dans le lot surnagent quelques beaux passages, surtout à la fin (la toute dernière section est visiblement consacrée à Baricco lui-même, tentant de "saisir" la mer dans un seul mot). L'interlude du radeau qui compose la partie médiane du livre est la plus facile à lire, même si elle ne trouve sa justification qu'à la toute fin du roman. Bref, pas emballé.